Photographe plasticienne
DEMARCHE ARTISTIQUE
Lauren G. Camps est photographe plasticienne, Sa pratique s'étend à travers une multitude de médiums – de la photographie au photo-collage, en passant par la peinture, le moulage, le dessin, l'installation, et l'édition – une diversité d'expressions qui reflète la complexité de sa pensée. L'artiste s'engage dans une exploration radicale des frontières entre l'humain et l'artificiel, un questionnement qui se déploie au sein des interstices de l'identité féminine dans ses représentations sociales et culturelles.
Son travail ne se contente pas de traiter de la question du genre, il la déconstruit et la subvertit, interrogeant les limites du féminin dans un monde où les corps des femmes, souvent réifiés, sont sans cesse redéfinis par des paradigmes normatifs. Cette démarche trouve une résonance particulièrement aigüe à travers la lentille de ses expériences personnelles, celles-ci étant marquées par des diagnostics TDAH et TSA modifiant fondamentalement sa perception du corps et de l'identité, tissant ainsi une relation intime et perturbée avec la représentation de soi.
À travers ce prisme, l’artiste interroge la nature même de la perception et de la mémoire, remettant en cause la linéarité et la stabilité de l'identité en plongeant dans les strates invisibles de l'âme humaine. Ses œuvres, véritable palimpseste de fiction et de réalité, cherchent à dévoiler ces couches enfouies, exposant les ruptures et dissonances de l'expérience vécue. La manière dont elle manipule le corps féminin, en le déconstruisant, le trahissant, le fragmentant, le recomposant, relève d'une volonté de transgresser les codes visuels traditionnels pour en saisir l'essence même, dans un élan qui oscille entre la violence et la beauté.
L’utilisation audacieuse de couleurs saturées et de contrastes éclatants au sein de ses compositions visuelles introduit une dialectique entre l'enfer et le paradis, une exploration des dualités inhérentes à l’existence humaine. La photographie médicale, qu’elle emploie dans une approche quasi scientifique, se fait ici un outil de déconstruction esthétique et philosophique, révélant les aspects cachés du corps humain tout en alimentant la tension entre l'intime et le clinique, l'individuel et l'universel. L'œuvre devient alors une cartographie sensible des tensions sociales et des systèmes normatifs, un miroir qui reflète une perception fragmentée des corps féminins et de leurs représentations.
Quelques indices sur l’œuvre de Lauren G. Camps, par Léon Mychkine, critique d’art, membre de l’AICA
Il y a des artistes qui ont des thèmes de prédilection, que l’on retrouve, d’œuvres en œuvres. S’agissant de Lauren G. Camps, c’est celui du corps ; le corps, dans différents états et postures ; des plus anecdotiques au plus problématiques, telles ces extraordinaires photographies produites en bloc opératoire, soit la série “Nos masses de chair ambulantes”, réalisée entre 2016 et 2018 ; certainement l’œuvre la plus marquante de son parcours, montrant au plus près les chairs ouvertes, coupées, opérées, dans une photographie (au sens aussi cinématographique) très esthétique et en même temps insoutenable, parce que crue.
Mais il ne faudrait pas prendre la notion de « corps » dans la seule acception physique ; elle est traversée par des questions liées à l’identité, à la différence sexuelle, au sang, à la mort, le mythe de la vie éternelle. On peut évoquer l’œuvre “Clonez-moi”, 2018, soit une « installation de fioles contenant des éléments organiques humains possédant chacun l’ADN d’un même sujet et mis à disposition afin d’être clonés » ; ou bien “Corps sacré sacré corps”, 2019, troublante hybridation, dans tous les sens du terme, entre dessin et réelles images de parties corporelles, à vif, à l’abandon, hermaphrodites…
Chez G. Camps, une question traverse le thème du corps ; celle de la dispersion ; ouvrant à des interrogations sur la modification des identités en rapport avec celles pratiquées sur le corps même : Jusqu’où l’identité reste identique à ce qu’elle était quand on modifie profondément son aspect ? Et, à ce titre, il n’est pas anodin que l’artiste ait fait un stage chez ORLAN, parangon international de la mutation esthétique du corps vivant, pour le meilleur ou le pire.
Depuis deux ans, G. Camps a opéré un tournant dans son travail, en ne tirant que des cyanotypes, rehaussés souvent à la feuille d’or (“Parcelling out”, “Thigten”, 2022). L’artiste confie qu’elle ne peut plus s’en passer, de ce bleu outremer, si typique du cyanotype. Et c’est en visitant une exposition d’Yves Klein que Camps s’est rendue compte qu’il y avait quelques points de convergence entre l’œuvre du judoka et le sien. Mais cette coïncidence artistique ne saurait empêcher de regarder d’un œil candide les œuvres de Camps ; et ce d’autant plus que la variété des sentiments et des sensations qu’elles provoquent ne peut être étrangère au fait que nous avons affaire ici au travail d’une femme-artiste.